Regards croisés du poète et de l'Ethnologue : La targuia

Comme en primeur des résultats de recherche de mes enquêtes de terrain (toujours en cours) auprès des Touaregs et Sahariens dans le sud algérien, je me permets de partager avec vous ce poème que j’ai écrit à Tamanrasset dans mon journal de terrain. Il est comme une trace, une traduction alternative, ou encore un matériau composite de l’expérience vécue, de l’observation, des ressentis, des projections et des rencontres du chercheur. Le Sahara est à la fois un lieu de solitude et de sublimation.

Et dans ce décor, la poésie énonce souvent les dynamiques socio-politiques, comme en témoignent les poèmes recueillis par Charles de Foucauld au début du siècle dernier (dont j’ai amorcé la consultation, réflexions à venir). Ils énoncent souvent les relations entre communautés touarègues, notamment entre les Kel Ahaggar et les Iwellemmedan. Plus récemment, les travaux de Dominique Casajus, de Paul Pandolfi et de Charles Grémont (qui m’inspirent et que j’invite à lire) ont démontré tout l’intérêt de l’étude du poétique pour saisir le politique. Le Sahara est un lieu où la poésie et le politique se rencontrent. Doit-on à présent amorcer une rencontre plus assumée entre les deux ? Comme en écho aux travaux sur l’humour et le politique d’Emmanuel Choquette, collègue à l’Université de Sherbrooke, ou aux élans littéraires, postcoloniaux et décloisonnés de Dalie Giroud (prof à Uottawa), il y a certainement un besoin de rafraichir notre regard dans le champ des études politiques. Saisir que les matériaux de la science politique sont plus nombreux et assumer les élans créatifs comme d’autres types d’éclairage, et non comme une simple radicalité, serait déjà un bon début, avant de s’apercevoir que les pensées de l’intime révèlent la positionnalité, la stratégie de communication et l’impact recherché et permettent une réflexion sur le message et le destinataire, et plus encore sur les relations entre acteurs. Les couches de sens sont aussi là et à la manière des pistes suivies par les sémiologues, la navigation en-dedans me semble presque relever de la nécessité.

LA TARGUIA

Le fantasme présent à chacun de ses pas,

Toute drapée de tissus colorés, elle s’abîme dans les rues de Tam,

Elle est mon rêve dans le sable,

Elle est la targuia.

 

À la recherche d’un taxi, dans une urbanité inconstante,

Elle arrête la voiture et d’un échange de regards,

Ma pensée est trouble comme celle d’un akafar,

Qu’elle est belle dans ce qu’elle dessine.

Oui, un eros perturbé dans l’aridité saharienne,

C’est elle. C’est la targuia.

 

Où est Dassîne ? Non, akhi, pas le motel de Tamanrasset!

Je cherche l’antique beauté.

Doit-on la deviner derrière les rochers de l’Adriane,

Ou se reflète-t-elle dans les jeunes femmes croisées à l’Assihar ?

À la veille du ramadan, je cherche la targuia.

 

Brisé et essoufflé dans la chaleur saharienne,

Le ksour en ruines de Moussa me peine,

Et me rappelle son ancienne passion pour la targuia,

Win Raki ? Win Rani ?

 

Du tindé à l’imzad,

Mon cœur vacille sans trouver le rythme,

Et pourtant, il continue de s’abîmer dans un doux refrain,

Celui de la targuia

 Adib Bencherif, 10 mars 2024, Tamanrasset.

Souk de Tam, 2024. Crédits : Adib Bencherif

Quelques interventions médiatiques autour du récent coup d'État au Niger

Un petit billet de blogue pour vous partager mes dernières interventions médiatiques autour du coup d’État amorcé le 26 juillet 2023 au Niger.

Au cours des entretiens, ma pensée a bien sûr évolué avec une actualité extrêmement changeante et un repositionnement rapide des différents acteurs mais les tendances lourdes demeurent… Je remettrai ce billet de blogue régulièrement à jour. La présente mise à jour date du 13 août 2023.

Dans la presse écrite, voir :

Le Sahel sous haute tension après le coup d’État au Niger | Radio-Canada.ca

Crise au Niger | Le pire des combats de coqs | La Presse

À la radio, voir les séquences portant sur le Niger dans les liens ci-dessous :

La crise s'accentue au Niger (radio-canada.ca)

Rattrapage du vendredi 11 août 2023 (radio-canada.ca)

Rattrapage du lundi 7 août 2023 (radio-canada.ca)

Rattrapage du jeudi 3 août 2023 (radio-canada.ca)




My recent article : A summary by Bard, the AI experiment by Google. Comments and food for thought

I recently published with my co-author Maxime Ricard an article on security brokers in West Africa. Our goal was to have a reflexive analysis about our intermediaries in the field and on some performative effects occurring with the security frames of the international programs but also of academic research.

Just because I was curious, I asked Bard, the Artificial Intelligence experiment by Google, the following question : What do you think about the article published in Globalizations by Bencherif & Ricard on security brokers ?

The answer of Bard surprised me. It is honestly a quite balanced answer. Here the answer :

“I think the article published in Globalizations by Bencherif & Ricard on security brokers is a valuable contribution to the literature on security in the Sahel. The authors provide a comprehensive overview of the role of security brokers in the region, and they identify a number of challenges that these actors face.

One of the strengths of the article is its focus on the political economy of security in the Sahel. The authors argue that security brokers are not simply neutral actors who provide security services. They are also embedded in the political and economic networks of the region, and they can play a role in shaping the dynamics of conflict and security.

Another strength of the article is its analysis of the challenges that security brokers face. The authors identify a number of factors that can make it difficult for security brokers to operate effectively, including the lack of transparency and accountability, the proliferation of armed groups, and the competition between different security providers.

Overall, I think the article by Bencherif & Ricard is a well-written and informative piece of scholarship. It provides a valuable contribution to the literature on security in the Sahel, and it raises important questions about the role of security brokers in the region.

Here are some of the key takeaways from the article:

  • Security brokers are a key actor in the provision of security in the Sahel.

  • Security brokers are not neutral actors, and they can play a role in shaping the dynamics of conflict and security.

  • Security brokers face a number of challenges, including the lack of transparency and accountability, the proliferation of armed groups, and the competition between different security providers.

The article concludes by calling for more research on the role of security brokers in the Sahel. I think this is an important call, and I hope that future research will build on the work of Bencherif & Ricard to further our understanding of this important topic.”

Of course, we can observe some repetitive sentences and the first and last sentences are very vague, but to be honest not necessarily more vague than an average essay….

So, my thoughts rapidly about this strange experience. Of course, it is just my opinion right now on my interactions with Bard:

1) Bard can be an auxiliary tool for research, even in social sciences, but only an auxiliary/supplementary tool not the only one. Students, scholars, analysts still need (unfortunately or not ;)) to read to think about a topic. Even if we are at the early stages of a research, reading is important, notably to ask more precise questions to Bard in an iterative way…Furthermore, exchanges and discussions are still very powerful to explore topics and discover new research avenues. Dialogues with Bard are funny but limited right now… I still prefer my colleagues and students :).

2) Reading academic works, novels, opinion pieces etc. are important because it can stimulate our creativity. Exploring is important. Accepting to take time to think through our readings too. Using in an extensive way ChatGPT or Bard (or any tools like them) can be tricky because it can lead to become lazy in our abilities to connect dots and to be creative.

3) Reflexivity is the awareness of our positionality. Contextualizing means being able to create a dialogue between texts, elements, data etc. Contexts and reflexivity will always need human analysts to think them.

4) Finally, Bard said that our scientific article on security brokers in West Africa is interesting, right ? So why not reading our article if you are a scholar/analyst/student working on the field ;p ? Joke aside, I am pretty sure you are going to notice quite rapidly that your thoughts are going further on the topic than the analytical summary of Bard… And you know why ? Because of your knowledge that you already acquired and the experiences and interactions that you have day to day.

Adib Bencherif & Maxime Ricard (2023) ‘Speak of the devil and he shall appear’: unpacking the practices of security brokers in West Africa, Globalizations, DOI: 10.1080/14747731.2023.2225308

Le retrait acté de la MINUSMA : Quelques éléments de réflexion

Lors d’un Sahel Seminar organisé à Gainesville le 30 juin 2023, l’équipe du Sahel Research Group (SRG) s’est réunie pour échanger autour de la résolution 2690 du Conseil de sécurité (votée à l’unanimité) annonçant le retrait de la MINUSMA, à la suite de la demande du gouvernement malien à la mi-juin et après plusieurs jours de négociation entre les membres du Conseil de sécurité et le régime malien.

Je partage avec vous, à travers ce billet de blogue, quelques éléments de réflexion inspirés par les échanges lors du Sahel Seminar.

Tout d’abord, pourquoi les autorités maliennes ont-elles demandé le retrait- de la MINUSMA ? À titre de rappel, le 16 juin, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop demandait au Conseil de sécurité de l’ONU le départ de la mission, en insistant sur le fait que la MINUSMA n’avait pas « pu apporter les réponses adéquates à la situation sécuritaire au Mali ». Comme le rappellent très justement Jean-Hervé Jezequel et Ibrahim Maïga d’International Crisis Group, la demande de retrait de la mission acte un processus plus long, amorcé il y a deux ans par le régime militaire d’Assimi Goïta, avec les tensions multiples et répétées avec l’État français, le retrait de l’opération militaire française Barkhane et le rapprochement avec la Russie et la société de sécurité privée Wagner. Il y a eu un clair changement d’alliances de la part du régime de Goïta qui considère les alliés d’hier comme responsables de la situation sécuritaire au Mali.

D’aucuns considèrent que ces demandes de retrait (de la France, de certains pays occidentaux et de l’ONU) relèvent davantage d’une stratégie de communication, visant une audience malienne, permettant de renforcer la légitimité du pouvoir, tout en facilitant la survie du régime, à travers un récit populaire et partagé à Bamako et très présent aussi sur les réseaux sociaux. Si l’élément communicationnel m’apparait important, il n’est pas, à mon avis, l’unique cause qui motive le gouvernement malien. L’idée de considérer les acteurs extérieurs comme (principaux ou uniques) responsables d’une guerre civile ou d’une situation d’insécurité dans un pays est un phénomène classique que l’on a observé dans d’autres théâtres de conflit. Il s’agit de la thèse de la « main de l’étranger », théorie du complot qui consiste à considérer que le problème est causé par des acteurs extérieurs. Une croyance qui s’installe dans tout théâtre de conflit. Une forme de déni collectif, rejetant la faute sur les autres, qui permet une forme de survivance collective sur le plan identitaire et cognitif.

Cela ne signifie pas que l’on ne doit pas considérer les effets potentiellement négatifs des acteurs extérieurs, comme les opérations contreterroristes menées par le passé, notamment par les opérations militaires françaises (et qui s’appliquent aussi aux forces russes présents au Mali), comme le soulignent très justement Bruno Charbonneau dans ses nombreux travaux ou encore le journaliste Rémi Carayol. Néanmoins, considérer que l’acteur extérieur est le seul responsable relève du déni. Ce déni semble partagé pour l’heure dans les récits circulant à Bamako, et dans une certaine mesure à Ouagadougou.   

Dans ce récit, où l’acteur extérieur est coupable, il y a une forte croyance autour du fait que la France et la MINUSMA se seraient rangées du côté des groupes armés non étatiques, plus spécifiquement du côté des anciens groupes rebelles touaregs (et ce, depuis la chute du régime de Kadhafi dans le cas français, lire le livre de Rémi Carayol sur cet enjeu). Certaines thèses avancent même que les acteurs extérieurs sont du côté des groupes terroristes, croyance renforcée par l’idée que les groupes armés rebelles, les groupes terroristes et même les groupes relevant de la criminalité organisée et des trafics illicites seraient alliés, voire confondus les uns dans les autres. Cette vision réductrice de la complexité de l’arène politique nord-malienne démontre l’ampleur des préjugés qui persistent à l’endroit de certains acteurs non étatiques. Cela ne signifie pas qu’ils n’existent pas des relations entre ces groupes armés non étatiques, mais qu’elles sont complexes, qu’elles dépendent d’individus, de différents intérêts, de visions idéologiques et sont sur des schèmes évolutifs et aussi de confrontation.

Dans le monde universitaire, nous sommes nombreux à avoir développé et démontré la complexité des relations entre les différents acteurs étatiques et non étatiques, notamment Alex Thurston et Nicolas, Degrais, Yvan Guichaoua et Andrew Lebovich, et à avoir invité à ne pas céder à des sur-simplifications sémantiques déformant et instrumentalisant la réalité. Voir aussi mes deux articles parus en 2018 et 2021 dans la revue Politique africaine.  

Voici une des thèses, en gros, couramment répétée sur les réseaux sociaux et dans la rue à Bamako : « Les acteurs extérieurs (France, MINUSMA) auraient empêché l’État malien de regagner sa souveraineté. Le retrait de la MINUSMA et de la France permettrait de regagner la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali, notamment en récupérant un contrôle sur la région de Kidal, toujours gouverné par les groupes de la CMA, considérés comme alliés et protégés par la France et la MINUSMA ».

La réalité est bien sûr tout autre et plus complexe. Les troupes françaises ont essayé de jouer les équilibristes entre les différents acteurs locaux. La région de Kidal n’a jamais été vraiment contrôlée par les autorités maliennes, y compris avant 2012. Très peu de ressources ont été allouées à cette région depuis l’indépendance. Des exactions ont été surtout commises en 1963 qui ont laissé un fort trauma auprès des communautés touarègues de la région de Kidal. Les relations conflictuelles entre les ex-groupes rebelles touaregs et l’État malien, au cours des dernières années, n’ont pas permis un retour suffisant de l’État malien dans ces territoires, mais la responsabilité est partagée par l’ensemble des acteurs locaux. Tant que l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques ne reconnait pas cette responsabilité partagée et ne développe pas une relation de confiance associée à des actes et signaux clairs, la situation au nord du Mali ne pourra pas être résolue !!! Et c’est sans aborder ici l’enjeu du centre du Mali et les logiques existantes dans la région du Liptako-Gourma.  

Dans le communiqué du 21 juin 2023 du Cadre Stratégique Permanent (CDP) réunissant des groupes de la CMA et de la Plateforme (groupes signataires de l’Accord d’Alger), le CDP souligne le rôle de cheville ouvrière de la MINUSMA dans le suivi et la mise en œuvre de l’Accord d’Alger. Le CDP demandait le maintien de la MINUSMA et affirmait une inquiétude d’un éventuel retrait la MINUSMA. Les groupes du CDP doivent certainement être inquiets d’éventuelles exactions qui pourraient être commises au nord du Mali dans des opérations sécuritaires par les soldats maliens et les éléments de Wagner. La MINUSMA avait donc déjà une première utilité claire :  permettre le suivi sur le plan opérationnel de l’accord d’Alger.

Human Rights Watch s’inquiète aussi d’une augmentation du non-respect des droits de l’homme après le départ de la MINUSMA. La MINUSMA documentait et enquêtait sur les allégations de violations de droit humains, comme lors des évènements de Moura ou Bounti. Le rapport sur Moura a d’ailleurs provoqué l’ire de Bamako. La MINUSMA, par son rôle d’observateur, pouvait dissuader les forces de sécurité de commettre des massacres et des exactions contre les civils en prétendant mener des opérations contre-terroristes. Il y a donc pour moi un risque clair d’une augmentation des exactions, au moins à court et moyen terme, à la suite du retrait de la MINUSMA. Et le problème est que ces exactions seront encore plus difficiles à documenter, sans accès direct aux sites…

Lors de l’intervention de la représentante de la Russie au Conseil de sécurité, à la suite du vote de la résolution du retrait de la MINUSMA, le 30 juin 2023, celle-ci a rappelé que l’État malien pouvait toujours compter sur l’État russe pour les aider dans leurs défis. Autre signal aussi envoyé par Moscou il y a quelques jours : l’aide se maintiendra pour le Mali, malgré la tension vécue il y a quelques jours entre le régime de Poutine et Wagner. Des signaux qui visent certainement à rassurer le régime malien et à réaffirmer la volonté de la Russie d’être un acteur clé au Sahel. Après, comment l’aide russe va-t-elle se manifester ? Les mercenaires de Wagner vont-ils être directement contrôlés par le régime de Poutine ? Va-t-on assister à un statu quo et au maintien relatif de Prigogine ou plutôt voir une autre société militaire privée prendre le relais de Wagner ? Un dossier clairement à suivre. Il m’a été dit que la MINUSMA avait parfois dû collaborer avec les éléments russes au Mali, au point où certaines sources militaires françaises me disaient en off que la MINUSMA était manipulée ou était devenue le pantin de la Russie. Cela ne rassure clairement pas sur le climat de confiance qui (régnait et) règne entre les acteurs internationaux…

La MINUSMA doit donc amorcer son retrait et donne l’impression qu’elle fait office de bouc émissaire. Dans ce contexte, peut-on faire un clair bilan des résultats obtenus par la MINUSMA au Mali depuis 10 ans ? Comment évaluer les effets de cette mission ? Est-ce que les actions de la MINUSMA s’inscrivent plus dans une forme de « damage control » sur le terrain ? La MINUSMA a en effet avalé beaucoup de couleuvres et fait de nombreux compromis au Mali… Est-ce que la MINUSMA ne pouvait se maintenir que dans une complémentarité ambigüe entre ses opérations de maintien de la paix (même si elles ont pris une couleur se voulant plus « robuste » en 2016) et des opérations contreterroristes menées par des forces internationales et maliennes ? (Voir à nouveau, entre autres, les travaux de Bruno Charbonneau). Enfin, les programmes mis en œuvre par la MINUSMA peuvent-ils être évalués à travers leurs impacts sur les populations, à moyen et long terme, dans un contexte sahélien extrêmement changeant ? Pour cette dernière question, j’ai essayé avec des personnes étudiantes de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke de me livrer à cet exercice sans succès…Les rapports d’évaluation étudiés ne permettent pas de saisir clairement les impacts sur les communautés.

Il est vrai qu’à Bamako, quand j’y étais en 2016-2017, les récits dans la rue étaient déjà très critiques à l’endroit de la MINUSMA. Les récits apparaissent plus nuancés au nord du Mali, bien que la MINUSMA essuie aussi des critiques, selon certains de mes interlocuteurs, quant à son faible impact sur la sécurité des personnes, notamment dans la région de Ménaka. On accuse souvent la MINUSMA d’avoir dépensé beaucoup de ressources pour se sécuriser elle-même (c’est-à-dire son personnel et ses installations), sans avoir une grande capacité d’actions sur le territoire…

Que dire ensuite des groupes djihadistes ? Qui va confronter ces groupes ? Est-ce que l’on va assister à une coalition plus structurée entre les groupes du CDP et le JNIM de Iyad Ag Ghali contre l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ? Est-ce que Wagner et l’armée malienne vont se concentrer sur des opérations au centre du Mali ? Que va-t-il arriver lors de confrontations armées au nord du Mali et s’il y a un déploiement plus important dans les territoires septentrionaux ? La MINUSMA n’est plus là pour assurer au moins un rôle d’observateur pouvant gêner les potentielles exactions des Fama et de Wagner, comme l’énonce Arthur Boutellis dans cette entrevue pour Afrique XXI. L’accord d’Alger, qui souffre dans sa mise en œuvre depuis 2015, va-t-il volets en éclats au cours des prochaines années ?

Et Iyad Ag Ghali ? Quel rôle va-t-il jouer dans toute cette histoire ? Il y aurait beaucoup à dire sur Ag Ghali. Voir mes articles et entrevues parus abordant Ag Ghali dans Jeune Afrique, ici et ici.

Il est probable que tous les regards vont se tourner vers l’Algérie pour qu’elle s’implique davantage dans le dossier malien. En revanche, elle ne pourra le faire que de manière extrêmement prudente, sous peine d’être accusée par les élites maliennes de tous les maux. La stratégie du régime algérien qui consiste à se limiter à jouer le rôle de médiateur depuis les années 1990 et à offrir un espace de dialogue entre l’autorité malienne et les groupes signataires m’apparait être une stratégie prudente à maintenir. Il faudra en revanche peut-être élaborer un mécanisme de suivi plus sophistiqué de l’accord, puisque la MINUSMA ne mènera plus le volet opérationnel. L’Union africaine – à travers la MISAHEL (par exemple) - peut ici jouer aussi un rôle plus important.

En revanche, l’implication de l’armée algérienne sur le sol malien risquerait d’être contreproductive, car il est nécessaire de maitriser la complexité des jeux relationnels et évolutifs entre acteurs et l’Algérie serait aussi, à son tour, taxée d’interventionnisme. Cependant, le fait que l’Algérie entretienne de bonnes relations avec la Russie peut clairement renforcer son rôle de médiateur dans la région.  

Enfin, dans cet enchaînement d’évènements au Mali, on peut être tenté par se demander si le régime malien est devenu irrationnel. Il ne l’est absolument pas. Le régime a une vision, partage probablement en partie l’imaginaire des populations maliennes, surtout bamakoises, et s’indigne aussi dans un registre plus émotionnel lorsqu’il est critiqué, comme à la suite du rapport du Haut-Commissariat des droits de l’Homme qui tend à confirmer les exactions commises par les forces sécuritaires maliennes lors des évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022. On peut plutôt parler de rationalité idiosyncrasique ou encore rationalité limitée dans une certaine mesure par des biais cognitifs et des imaginaires ancrés (et des calculs électoraux ou de soutien populaire…). 

Pour autant…le retrait de la MINUSMA et des partenaires occidentaux va-t-il amener une forme de responsabilisation des élites (étatiques et des groupes armés non étatiques) et des populations pour rétablir le dialogue et trouver des solutions collectives ? C’est tout ce que l’on peut souhaiter…Et cela n’est pas non plus impossible…Pas dans l’immédiat, mais cela n’est pas un scénario à exclure à moyen ou long terme.

 

Pour en savoir plus et avoir un aperçu de mes plus récents travaux :

Adib Bencherif & Maxime Ricard (2023) ‘Speak of the devil and he shall appear’: unpacking the practices of security brokers in West Africa, Globalizations, preprint. 

Adib Bencherif et Marie-Ève Carignan, Exploratory research report on the information environment in a political and security crisis context in the Sahel Region, NATO Strategic Communications Centre of Excellence, 2023.

Adib Bencherif et al., Étude internationale sur les dispositifs de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents dans l’espace francophoneChaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, 2022. 

 

 

 

Le retour du terrain : 6 astuces pour (re-)trouver le chemin de l’écriture

Je partage ici, avec vous un billet que j’ai écrit il y a quelques années pour Praxis : The CPSA Career Blog / Le blogue carrière de l’Association Canadienne de science politique. J’ai ajouté deux astuces et fait des micro-corrections. J’espère qu’il pourra aider les étudiant.e.s au cycle supérieur (maitrise et doctorat) à se ménager et à accepter plus sereinement la relation non linéaire à l’écriture.

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La collecte de données sur le terrain est finalement terminée ! Enfin ! Pour ma part, je me revois terminer mon enquête ethnographique au Mali et au Niger et revenir au Canada. À peine arrivé à l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal, quelques millièmes de seconde après le premier soupir de soulagement, une question se mit à accaparer mes pensées : « et maintenant ? ». Cet état, on l’a tous partagé ou on s’apprête à le (re-)vivre suite à la fin d’une enquête. L’idée n’est pas de parler des défis qui attendent l’ethnographe lorsque le chercheur revient du terrain. Il s’agit ici de tenir une réflexion d’ordre plus général en m’inspirant de ma propre expérience. Bien des « terrains » (archives, bases de données, études cliniques, stage pratique, ethnographie etc.) sont difficiles et ils ont tous leurs défis respectifs. Le retour à la « réalité » et au monde académique, sans avoir eu nécessairement à s’expatrier, peut donc être un choc pour beaucoup d’entre-nous. Que faire pour retrouver une vie académique minimalement saine ? Voici 6 astuces qui ont jalonné mon parcours, que j’ai suivi de manière plus ou moins constante mais qui m’ont grandement servi pour effectuer un retour à l’écriture qui ne soit pas trop abrupte.

1 - Accepter le temps de décantation :

Inévitable. Il faut décanter. Ok, vous avez amassé une quantité d’informations formidable. Si vous procédez par induction, il est même possible qu’il y ait une bonne part qui ne concerne pas spécifiquement votre question de recherche, qui soit périphérique, voire qui vous incite à la reformuler. C’était mon cas…Une fois que que le temps de décantation est accepté comme nécessaire, il est possible de commencer à entretenir un rapport plus serein dans les étapes de retranscription, de structuration et de codage des données collectées. Les astuces qui suivent sont inter-reliées à celles-ci et contribuent aussi à la faciliter.

2 - Exorciser par les conférences, les ateliers et les workshops :

De la frustration… Des blocages dans l’écriture… Des contradictions dans l’analyse… De l’opacité dans les données… Ou encore une envie de partager ses trouvailles ? Les conférences, les ateliers, les workshops servent à répondre à tout cela. Ils peuvent arriver à différentes étapes de vos réflexions et de vos écrits (chapitres de thèse, chapitres de livre ou articles scientifiques). Il ne faut pas s’en priver car c’est une occasion d’avoir des commentaires, des questions de nos pairs mais surtout de tester nos articulations d’idées et l’intelligibilité de notre pensée. Ces évènements permettent donc de raffiner notre pensée. Ce premier point est évident, d’accord. Mais plus que cela, les conférences ont aussi une vertu cathartique. Elles nous permettent d’exprimer ce qui nous anime, de ranimer notre passion, de nous rappeler pourquoi on aime tant se torturer l’esprit et puis de partager avec les membres de sa communauté épistémique (ou pas). L’être humain est un animal social. Les étudiant.e.s au cycle supérieur aussi. Ne négligeons donc pas ces moments. 

3 - Décanter par la pluralité des écrits :

« Publish or perish ». Un triste adage maintenant au cœur de la réalité académique que l’on répète à l’envie jusqu’à s’en étrangler. Néanmoins, multiplier les écrits a aussi quelques avantages et peut être salvateur. Cela permet aussi de poser et d’articuler ses pensées avec diverses contraintes d’espace (7000 – 9000 mots environ pour un article scientifique, 6000 mots pour un chapitre de livre, 900 mots pour un article de presse). On se retrouve alors en fonction des formats à chercher à expliquer de la manière la plus adroite, succincte, didactique et dense possible nos arguments. Et ces écrits constituent aussi des sources nourricières pour s’approprier et digérer les données collectées et pour s’attaquer par la suite à la thèse, si d’aventure elle n’est pas écrite sous forme d’articles scientifiques.

4 - Constituer un groupe composé de pairs pour se rencontrer et échanger :

Le directeur/directrice de thèse n’est pas toujours disponible ? Par ailleurs, difficle de le déranger lorsqu’il s’agit de petites questions, sachant son emploi du temps déjà saturé... Comment trouver le texte le plus pertinent pour améliorer son volet méthodologique pour l’analyse du discours ? Qui peut relire la micro-revue de littérature que j’ai effectué pour un article ou une conférence que je prépare ? Il parait difficile de solliciter le directeur/la directrice pour ces éléments, surtout avec ses délais de réponse…La solution ? Constituer un groupe composé de pairs (étudiant.e.s au 2ème et 3ème cycle). Les personnes étudiantes peuvent être au sein de votre département, sous la supervision du même directeur/directrice, être dans le même laboratoire ou être des collègues au sein de la même équipe de recherche par exemple. Il s’agit de constituer un groupe informel qui peut se rencontrer, par exemple, une fois par mois pour 1) parler des défis rencontrés et des enjeux de la recherche en général, 2) poser des questions sur les ressources existantes à l’université et 3) même discuter d’un écrit d’un des membres. Échanger est un processus naturel et parfois les collègues font des suggestions intéressantes. Le simple fait d’échanger sur ses difficultés et de formuler à l’oral son raisonnement permet souvent d’entrevoir les solutions.

5 - Bloquer du temps pour la réflexion et l’écriture :

Cela semble basique mais c’est souvent extrêmement difficile. Comment écrire lorsque l’on a un emploi à temps partiel ou même à temps plein pour des considérations financières ? Comment écrire lorsque l’on a accepté plusieurs assistanats de recherche ou/et d’enseignement stimulants qui procurent une satisfaction plus immédiate ? Ménager du temps pour réfléchir et écrire est la solution… Cela veut dire BLOQUER du temps. Des blocs de temps dans votre calendrier outlook ou papier pour réfléchir, lire et écrire que personne ne peut vous ôter!!! Personne!!! J’ai dit, personne!!! Ce temps est inviolable; il est pour vous et vous devez être intraitable à ce sujet! Même si cela n’est qu’une journée ou demi-journée par semaine. Sécurisez ce temps! Les urgences ne manquent pas au quotidien mais triez-les en fonction de leur niveau d’importance. Et surtout, si vous voulez écrire, ne consulter pas toutes les 30 minutes vos courriels, vos réseaux sociaux ou votre téléphone! Ici réside la clé de votre salut! Extrêmement basique mais très compliqué…L’université de Sherbrooke propose d’ailleurs un service pour aider les étudiant.e.s. Il s’agit d’une journée de rédaction mensuelle, dans un cadre propice à l’écriture, sur les campus de Sherbrooke ou Longueuil. Cette initiative s’appelle les Journées Réd-Action. Jetez-y un oeil!

6 - Ne pas se laisser consumer par le feu du dragon [1] :

Malgré que notre recherche nous passionne, il faut prendre du recul et éviter de s’enfermer dans une relation exclusive avec celle-ci. Cela implique de parler d’autres sujets avec ses proches et de conserver une curiosité pour le monde extérieur à l’académique. Pour y parvenir, il convient par exemple d’avoir d’autres loisirs. Au cours des retraites d’écriture organisées par l’association Thèsez-vous – une agréable communauté d’étudiant.e.s en maitrise et au doctorat solidaire dans l’exercice d’écriture – les étudiant.e.s doivent se présenter, énoncer leur objet de recherche en trois concepts et dire un de leurs loisirs. Les premières fois, les étudiant.e.s sont désarçonné.e.s et ont du mal à trouver des loisirs dans leurs occupations. Lors de ma première participation en 2017, ce fut aussi pour moi une prise de conscience que je devais faire un effort pour conserver un plus grand équilibre de vie. J’ai donc pris sur moi, réapprenant à accorder du temps aux autres sphères de ma vie et à avoir quelques loisirs connexes. Depuis, l’écriture est redevenue (à peu près ;p) sereine et fluide.

[1] Les amateurs et amatrices de Game of Thrones comprendront qu’il faut se construire de manière plus équilibrée que Daenerys Targaryen et ne pas chercher à tester son immunité au feu. #Improbable_Spoiler



Quelques participations dans des podcasts/Balados

Dans le présent billet, je vous partage quelques tables rondes et émissions enregistrées auxquelles j’ai participé récemment, si d’aventure elles vous ont échappé :). Elles ont toutes été réalisées dans l’écosystème universitaire québecois.

La première émission, que je vous partage, a été réalisée au sein de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. Il s’agit de l’épisode 3 « Envers et contre nous : les guerres qui nous hantent », du balado Expertises sur Écoute. Vous pouvez écouter l’émission sur différents formats. J’y parle de mes recherches sur les questions identitaires et les conflits armés.

La seconde émission, que je vous propose, est une table ronde organisée par l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand. Elle a lieu le 24 février dernier et s’intitulait : Valses, tensions et perspectives au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. L’animation a été faite par Mylène de Repentigny-Corbeil, dans le cadre d’une discussion avec les Professeurs Aoun et Pahlavi. On s’escrime à dégager les tendances et dynamiques politico-sécuritaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le lien ci-contre.

J’ai aussi participé à une table ronde organisée, le 10 février 2022, par le CÉRIUM de l’Université de Montréal. Elle portait sur les récents coups d’État en Afrique de l’Ouest. On y aborde les changements de régime politique, la situation sécuritaire, les dynamiques entre groupes armés etc. Parmi les participants, les professeurs Gazibo, Charbonneau et Jourde. Le lien ci-contre.

Enfin, une émission faite de manière décontractée dans le balado Vies d’Anges, une émission animée par les étudiants de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. On y parle un peu de tout: trajectoire académique, recherches et vision de la connaissance.

Bonne écoute!


Photo prise lors de l’émission Expertises sur Écoute.





L’analyse du risque politique au service de l’actualité tchadienne : l’article d’International Crisis Group « Tchad : Quels risques après la mort d’Idriss Déby ? »

Il y a quelques jours, l’International Crisis Group (ICG) a publié une fine analyse de la situation politique actuelle au Tchad. La soudaine mort d’Idriss Déby a en effet surpris les observateurs de la région sahélienne. Elle constitue aussi un vrai cas d’école pour penser et analyser les risques politiques. À travers un jeu de questions-réponses (Q&A) pour ICG, Richard Moncrieff, Thibaud Lesueur et Claudia Gazzini s’escriment donc à analyser le climat politique au Tchad et au Sahel. 

Idriss Déby venait d’être réélu une sixième fois et semblait « indéboulonnable ». Arrivé au pouvoir par les armes en 1990, Déby était en effet au pouvoir depuis 30 ans. Ironie de l’histoire : il serait mort alors qu’il était occupé à faire face à un groupe rebelle, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Deux pistes sont avancées à l’heure actuelle pour expliquer son décès: il aurait été blessé sur le front alors qu’il dirigeait ses hommes contre le FACT ou lors d’une négociation avec les rebelles qui aurait mal tourné. 

            Alors que les observateurs continuent de se questionner sur les circonstances de sa mort, ce sont les conséquences de celle-ci qui inquiètent les analystes qui étudient le Tchad et le Sahel. Idriss Déby était un des fers de lance de la lutte contre le terrorisme et l’un des partenaires clés de la France dans la région. Les soldats tchadiens sont déployés dans toute la région au sein de la MINUSMA et du G5 Sahel. Comment l’engagement du Tchad est-il appelé à évoluer dans la sous-région ? Pour assurer la transition politique, l’armée tchadienne a constitué un comité militaire avec à la tête de celui-ci le fils du président Déby, Mahamat Idriss Déby, un jeune général de 37 ans... Ce comité aurait ainsi la charge de mener la transition pour les prochains 18 mois. Écart constitutionnel douteux et coup d’État qui ne dit pas son nom…Et réaction française plutôt timorée comparativement au coup d’état au Mali en août 2020. Peut-on considérer que ce régime mènera une réelle transition politique au Tchad et de quelle façon ? Comment gèrera-t-il la rébellion armée ? Que dire des diverses oppositions politiques au Tchad et au sein de la diaspora vis-à-vis du comité militaire ?

            L’article d’International Crisis Group « Tchad : Quels risques après la mort d’Idriss Déby ? » est dès lors un excellent exemple d’une analyse fine et méthodique du risque politique. J’invite à lire cet article. Les auteurs ont d’excellents réflexes analytiques pour brosser le portrait de la situation. Voici quelques-uns des réflexes que j’ai relevés et qui ont attiré mon attention :  

1)    Le vocabulaire est soigné. Les auteurs s’assurent de préciser leur degré de certitude. Ils ne prétendent pas être certains et utilisent des termes comme « possiblement » ou « plausiblement » lorsqu’ils s’inscrivent dans des schèmes hypothétiques. 

2)    L’article présente l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux, les acteurs du régime, les rebelles, l’opposition. Les auteurs ne se limitent pas à cela. Ils donnent aussi des détails sur les logiques relationnelles entre les acteurs : les oppositions et les jeux d’alliance existants ou possibles. Il est toujours pertinent d’adopter une approche relationnelle pour saisir des dynamiques politiques. 

3)    Ils mobilisent aussi différents niveaux d’analyse (international, régional, transnational, national, local..). Ils manient la dialectique entre ces niveaux d’analyse avec habileté. Ils expliquent comment le théâtre libyen peut avoir un impact sur la réalité au Tchad par exemple. 

4)    Ils donnent quelques éléments sur les trajectoires de certains leaders clés au pouvoir ou dans les mouvements.   

5)    Ils tiennent compte des imaginaires des populations locales. Un évènement politique ne peut être compris si on se contente de le lire à travers des schèmes logiques externes qui ignorent la perspective des acteurs locaux. 

J’ai d’ailleurs écrit récemment un chapitre résumant les réflexes analytiques à avoir pour faire, à l’image de cet article, de bonnes et pertinentes analyses portant sur les risques politiques. Il s’agit du chapitre 5 dans l’ouvrage que j’ai co-dirigé. Ci-dessous les références. N’hésitez pas à vous procurer le livre et à nous revenir avec vos commentaires! D’autres surprises sont à venir! À tout bientôt! 

 

Bencherif, Adib et Frédéric Mérand (dir.). 2021. L’analyse du risque politique. Montréal : Presses de l’Université de Montréal. 

 Bencherif, Adib. 2021. « Réflexes analytiques et outils méthodologiques qualitatifs », Chapitre 5, dans Adib Bencherif et Frédéric Mérand (dir.). L’analyse du risque politique. Montréal : Presses de l’Université de Montréal (PUM), pp.99-117. 

 

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Réflexions autour de l’analyse du risque politique : parenthèse autour de mon parcours et de la nécessité de penser cette pratique

Automne 2010. Le gouvernement militaire birman entame une transformation partielle pour devenir un régime civil en apparence. Cherchant à convaincre la communauté internationale qu’une transition démocratique est en train de s’opérer, le régime libère et négocie avec Aung San Suu Kyi juste après la tenue d’élections législatives douteuses. Élections qui sont d’ailleurs boycottées par le parti politique de Suu Kyi. 

Votre mission : à travers les intérêts d’un client (ONG, acteur privé, investisseur, etc.), élaborez un scénario qui se produirait dans un horizon de six mois. L’objectif est d’identifier les risques politiques qui pourraient, en cas de survenance, affecter ce client et la manière dont ils l’influenceraient.

Vaste programme, me direz-vous ! Sachez que ce cas d’étude nous avait été imposé par le Dr. Gérard Hervouet, alors que mes camarades et moi suivions son cours d’analyse du risque politique international à l’Université Laval à l’automne 2010. C’est la première fois que je me trouvais confronté à une telle situation.

Auparavant, au cours de mon Bachelor en relations internationales à l’ILERI, les termes de « risque-pays », « risque politique » ou encore « géopolitique » étaient fréquemment utilisés autour de moi par les professionnels, les enseignants ou encore certains diplômés qui faisaient carrière dans des cabinets de conseil, notamment en analyse de risque-pays ou en intelligence économique. L’appréhension de ces notions était par contre, à ce moment-là, un peu confuse. Elles étaient pour moi un potentiel horizon futur de carrière que j’assimilais à un travail d’expert en relations internationales ou d’analyste politique. Bref, je n’en comprenais ni les subtilités, ni la perspective.  

Lorsque je fus exposé pour la première fois à l’analyse du risque politique (ARP), ce fût donc à l’Université Laval pendant ma maitrise en études internationales. Un peu par hasard et un peu aussi par attrait pour le descriptif du cours, j’allais suivre dès ma première session le cours du Dr. Hervouet, lors duquel nous allions étudier en détail le cas birman. Ce cours semblait promettre une forme de professionnalisation en science politique. À la fin de notre cas d’étude, le Dr. Hervouet nous présenta sa grille de lecture inspirée de nombreuses disciplines telles que la politique comparée, la sociologie politique, la sociologie historique, l’étude des conflits armés et des questions identitaires et j’en passe… Explorer ce cas d’étude à travers sa grille de lecture fût un merveilleux et fascinant casse-tête. 

Parallèlement à cela, à plusieurs reprises dans son cours, je me rappelle avoir régulièrement posé des questions sur les méthodes en ARP et sur les qualités qu’il fallait pour devenir un analyste du risque. Nous allions étudier plusieurs documents traitant du travail du renseignement mais cela me laissait bien souvent sur ma faim. Il y avait comme un manque. Je ressentais le besoin de chercher un manuel pour devenir le meilleur analyste du risque politique possible et, dans une certaine mesure, un très bon analyste tout court (que ce soit en politique, en sécurité ou en stratégie par exemple). J’ai lu l’ouvrage de Ian Bremmer sur l’analyse du risque assez tôt dans mon parcours (The Fat Tail: The Power of Political Knowledge in an Uncertain World). Un incontournable, certes. Cet ouvrage m’a fasciné mais ne permettait pas de savoir clairement les compétences à acquérir et le profil à façonner lorsque l’on est un étudiant de second cycle. 

Mes pérégrinations m’amenaient souvent à consulter différents sites de départements en relations internationales / affaires internationales (surtout en anglais) qui parlaient de ce débouché, de ce métier en science politique qu’est l’analyste risque pays / risque politique. Les descriptifs étaient assez vagues mais la maitrise de l’analyse qualitative et quantitative (ou tout du moins une certaine exposition au deux) m’apparaissait cruciale, ainsi qu’une sorte de région d’expertise pour avoir une compréhension fine de l’empirie et des enjeux sous-jacents. Sans oublier, bien sûr, une grande curiosité pour acquérir une culture générale. 

Plus tard, j’allais travailler pour Dr. Hervouet et produire quelques notes de recherche. Et c’est dans un schéma similaire que j’ai réalisé plusieurs articles et notes de recherche au cours de mes années de chercheur en résidence à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand. Ma démarche s’inscrivait toujours dans l’identification et l’analyse des tendances et des futurs possibles au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Sahel. Comment dégager des tendances et saisir la singularité des cas ? Comment concilier l’étude du macro et du micro ? Comment mobiliser les réseaux sociaux pour faire de la veille ? Comment restituer la complexité de ces théâtres ? Mes questions ne cessaient de se multiplier au cours de ces années-là… L’exploration de la politique comparée quelques années plus tard allait en démêler certaines et en créer d’autres… 

J’ai eu par la suite la chance de travailler temporairement en analyse de risques géopolitiques à la Caisse de dépôt et placement du Québec et de travailler sous la direction de Thomas Didier. Un passage de quelques mois juste avant d’entamer mon doctorat à l’Université d’Ottawa qui fût très enrichissant. Thomas (le « capitaine », comme je le surnommais alors) était un homme polyvalent, hyper analytique et nuancé. L’assister me permit de voir les points forts et aussi les biais du milieu. Ce fût un moment fascinant. Il y aurait beaucoup à dire sur cette période et ce fut d’ailleurs traduit par quelques réflexions d’ordre épistémologique que j’ai posé à l’écrit dans l’article suivant : “L’analyse du risque géopolitique : du plausible au probable”, Glocalism, n°3, 2015, 1-16.  

Enfin, à l’Université d’Ottawa, j’ai suivi le cours de sécurité internationale de Dr. Mark Salter et j’ai été introduit aux études critiques de sécurité. Cette littérature dénonce particulièrement les pratiques du milieu des experts en sécurité et en analyse du risque et s’inquiète d’un prisme pessimiste pour penser le monde. Avec mes camarades de l’Université d’Ottawa, j’ai été obligé à un travail d’introspection et de questionnements sur le sens et l’impact de nos analyses sur notre environnement, notamment en qualité d’ « experts ». Cela n’a fait que me conforter dans l’importance de la nuance et de la réflexivité lorsque l’on pense l’ARP. J’ai aussi pris conscience de la dimension normative-performative associée à ce type de travaux et de l’importance d’avoir une écriture consciencieuse et éveillée lorsque je me livre à ce type d’analyses. 

Alors que je me plongeais dans les études ethnographiques sur les communautés touarègues et que j’effectuais mes recherches-terrains au cours de mon doctorat – sujet fascinant aux nombreux échos intellectuels et personnels - une obsession allait me poursuivre, celle de constituer un ouvrage sur l’analyse du risque politique : l’ouvrage que j’aurai voulu lire lorsque j’étais un étudiant. Un ouvrage qui permettrait de saisir les aspects de ce milieu professionnel, de travailler son profil et les compétences à acquérir. 

Un synchronisme superbe fût possible avec la démarche menée par le CÉRIUM et l’école d’été « analyse risque et géopolitique » co-dirigé par Jean-Frédéric Légaré-Tremblay et Dr. Frédéric Mérand. Cette école a connu de nombreuses éditions et un franc succès. J’ai d’ailleurs eu la chance de participer en tant que conférencier à celle-ci. Approchant Dr. Mérand pour l’idée d’un projet collectif à l’été 2017, celui-ci allait se montrer enthousiaste pour créer un ouvrage permettant une professionnalisation des étudiant.e.s mais aussi pour initier un programme de recherche à travers un dialogue entre praticiens et universitaires. La démarche du CÉRIUM et mon obsession s’alignaient parfaitement. C’est ainsi que de nombreux participants de l’école d’été furent associés au projet en tant qu’auteurs de chapitres de livre. Jean-Frédéric allait signer l’avant-propos soulignant l’approche défendue par le collectif. D’autres auteur.e.s repéré.e.s allaient aussi se joindre à cette superbe (et longue) aventure collective. C’est ainsi que j’ai co-dirigé cet ouvrage paru ce mois-ci : A. Bencherif and F. Mérand, L’analyse du risque politiquePresses Universitaires de Montréal (PUM), 2021. Cet ouvrage me servira d’ailleurs aussi comme matériel d’enseignement dans le cours d’analyse du risque politique que j’espère enseigner bientôt à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Une école avec laquelle je partage le souci d’une science politique appliquée où l’universitaire a un rôle dans la Cité, bien que je pense son rôle dans la pédagogie, la mesure, la nuance et une distance (maintenue et nécessaire) avant l’action.

D’autres projets sont à suivre. J’ai aujourd’hui plus que jamais la certitude de : 

1-    L’importance de structurer des formations et outils clairs pour aider les étudiants à se professionnaliser en sciences sociales et en science politique ; 

2-    Démontrer l’importance d’acquérir un bagage théorique, méthodologique, réflexif et de se nourrir de réflexions épistémologiques pour se construire dans la nuance et la complexité, y compris dans une vie professionnelle ; 

3-    De maintenir et nourrir un dialogue constant entre les universitaires et les praticiens. 

Pour les curieux et curieuses, vous trouverez au lien suivant l’introduction de l’ouvrage, la liste des auteurs et la table des matières : L’analyse du risque politiquePresses Universitaires de Montréal (PUM), 2021. L’introduction vous permettra de comprendre ce milieu, son développement, ses apories, ses potentialités et de « concevoir les futurs » de cette pratique. Le livre est dès à présent disponible en librairie ou sur le portail des PUM en version papier ou numérique.  

Et vous, auriez-vous pu concevoir un futur où Suu Kyi serait devenue chef de gouvernement de facto d’un régime hybride où l’armée demeure un joueur prépondérant ? Auriez-vous prévu que son parti allait remporter les élections législatives de 2020 de manière écrasante ? Pis encore, auriez-vous anticipé que la junte - décidément non prête à s’effacer du pouvoir – déclenche une opération militaire provoquant un coup d’État, l’arrête à nouveau, et ce, malgré tous les compromis faits au cours des dernières années par Suu Kyi, notamment lorsqu’elle défendait les militaires dans leurs exactions contre les Rohingyas ? Certains éléments pouvaient se deviner ; d’autres étaient plus délicats à entrevoir. Ce cas est une belle invitation à explorer avec humilité les dynamiques et les processus politiques en réactualisant nos scénarios régulièrement et en s’inspirant des différentes littératures de la science politique. 

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Et si on parlait poésie touarègue ? Retour sur la sécheresse vécue en 1973 dans l’Adagh

Ceux et celles qui me connaissent savent mon intérêt pour les récits, ces actes narratifs qui permettent d’interpréter la vision d’un acteur, ses intérêts, ses choix, ses hésitations ou encore ses contradictions. Quelque part, tout peut être récit. Nous nous contons et nous nous mettons en scène sans cesse au quotidien. Les réseaux sociaux ne sont qu’une preuve supplémentaire des besoins de (nous ?) narrer.

Ce regard se retrouve souvent dans la littérature explorant le Sahel. Des universitaires, à l’instar de Dr. Dominique Casajus et de Dr. Amalia Dragani, se penchent sur les communautés touarègues en ayant pour focale les récits pour saisir la réalité des arènes politiques locales. Ils le font assez souvent par l’entremise de poèmes composés par des Touaregs et/ou Touarègues.

             Alors que nous avons pris l’habitude de raconter le Sahel à travers un prisme sécuritaire (un acte narratif, un de plus…), je me permets ici de vous offrir une escapade. Celle-ci est un prétexte pour contextualiser davantage les difficultés vécues par les communautés touarègues, plus spécifiquement dans les régions septentrionales du Mali et du Niger.

             L’un des épisodes systématiquement narrés par mes interlocuteurs, lors de mes mois passés sur le terrain au Mali et au Niger, est la sécheresse vécue en 1973. Cette dernière décime les troupeaux et oblige de nombreux Touaregs à l’exil. Nombre d’entre eux se réfugient en Algérie et en Libye. On les surnommera les ishumar. Ce terme est une adaptation en tamashek du terme « chômeur », mais cette notion s’est en vérité complexifiée avec le temps. De nombreuses couches de sens se sont ajoutées au fil du temps. Peut-être que cette notion sera l’objet d’un prochain billet, qui sait ?  Parmi ces ishumar, certains rejoignent les milices de Kadhafi et sont déployés dans différents théâtres de guerre. Ce sont eux qui mèneront par la suite la rébellion touarègue des années 1990. Cette rébellion armée aura lieu de manière quasi-synchronique au Mali et au Niger dans les années 1990. Mais ceci est une autre histoire. Ou peut-être pas ?

  Les trajectoires humaines sont faites d’hésitation. Les chemins peuvent être sinueux. Les épisodes passés peuvent nous marquer pendant des décennies (que l’on parle à l’échelle d’une personne ou d’une communauté). La plupart des Touaregs qui me narrait la rébellion revenait sur cet épisode structurant l’arrivée des futurs ishumar en Libye et qui allait entraîner par la suite la rébellion armée des années plus tard.

  Je vous présente donc ici le poème d’Akhmuden ag Medi. Ce poème a été enregistré par Aghméra ag Écherif sur un « vieux magnétophone ». Il a été par la suite retranscrit et traduit par Dr. Rachid Bellil dans son ouvrage qui compile ses travaux sur les communautés touarègues Kel Adagh et Kel Ahaggar. Le poème se trouve au chapitre 7 : « Expression du mal-être des Kel Adagh : Deux poèmes et deux requêtes » (pp.191-194). Dr. Bellil a eu l’amabilité de me laisser retranscrire le poème dans ce billet de blogue.

Juste avant le poème, je retranscris aussi la discussion entre Aghméra et Akhmuden qui permet de contextualiser encore davantage le poème.  

« Aghméra :

-       Ceci est un poème composé par Akhmuden ag Medi sur un pillage [Aghméra qualifie l’acte de prélever l’impôt de « pillage » en référence aux razzias faites par un groupe pour s’approprier les ressources d’autres communautés] qui a eu lieu au Mali. Il va nous éclairer lui-même sur les raisons qui l’ont amené à le composer.

Akhmuden :

-       Iknan [un goumier chargé de prélever l’impôt pour l’autorité malienne, mais qui n’y parvenait pas, car les gens en temps de crise lui répondaient qu’ils n’avaient rien en leur possession] est venu me voir et m’a énuméré les noms de toutes les familles qui sont restées entre Iliwedj et Kidal. Il m’a dit qu’il me confiait la tâche de prélever l’impôt que ces familles devaient payer. Il se trouve que les temps étaient durs pour ces gens et que personne parmi eux ne possédait quelque chose. Aucun d’entre eux ne pouvait mener des bêtes au village pour les vendre et en retirer quelque argent.

Aghméra :

-       Oui, ils ont vécu l’année dite : « la mauvaise » [il s’agit de 1973, une mauvaise année en raison de la sécheresse] qui a enlevé les moyens de subsistance aussi bien à ceux qui possédaient des biens qu’à ceux qui n’avaient plus rien.

Akhmuden :

-       Par trois fois, l’argent (de l’impôt que je ramassais) était déposé à Ménaka et Iknan revenait à Kidal. Je venais jusqu’à lui pour lui remettre ce que je prélevais. Lors de son quatrième départ vers Ménaka, une mauvaise intention me saisit et je décidais de partir vers l’Algérie en gardant l’argent que je venais de recueillir. »

 

Le poème d’Akhmuden traduit en français dans le chapitre de Dr. Bellil:

            « On dirait que l’Adagh ne vaut plus rien

            Les souffrances font migrer les familles

            Se rapprochant de Tahoua sans y parvenir

            Puis est arrivé le tampon venant du ministère

            La décision était prise de faire rentrer l’impôt

            Dans cinq mois les listes seront closes

            Les choses devenant pressantes pour les députés

            Vous m’avez obligé à me rendre

            Entre Tibagatin et Tin Biden

            Près des arbres je me suis reposé vers midi

            J’ai enlevé la selle du chameau bien bâti

            Puis ai raccourci son entrave

            J’ai estimé l’heure sans avoir de montre

            Et bu deux verres de thé

            J’ai saisi mon stylo bic pour examiner le livre

            Et calculer ce que doivent les restants

            J’ai réfléchi à tous ceux qui étaient dans la gêne

            Et à l’éloignement qui m’était imposé

            Elle est partie à Taghlit et toi à Inikel

            Abdallah est à Aglel et Busa à Humen

            Quant à moi je ne sais plus où j’en suis

            J’ai pris la bride du chameau à la fière allure

            Dont les gouttes de sueur paraissent de la poudre

            Et l’ai recouvert d’une couverture bariolée

            Il a émis un son qui m’a rappelé

            Le camion qui venant d’Ahembuher [quartier de Tessalit]

            Se dirige vers le poste militaire

            Au moment où le soleil décline et se couche

            J’étais à Djuzid chez les Dehuchel

            J’ai pris Akli pour aller à Humen

            Partis à midi pour passer la nuit à Zuzer

            Et arrivés au moment de la traite des chamelles

            Mon être me tourmentait et j’avais mal

            Iknan, je te jure par Dieu mon maître

            Que je ne puis te rendre les cinq mille (francs)

            J’ai fait un travail et les ai mérités

            Et si tu demandes des témoins

            Voici Biga et le fils d’Etikbel

            Qui m’ont vu sous Sebliben

            Marchant et travaillant soucieux

            Jusqu’à ce que l’on me prenne pour un fou

            Je ressens les coups bas que vous m’avez portés

Mais n’ai point recherché ces actes gratuits

Heureusement que l’Invisible

Et Omniscient observe, Lui à qui rien n’échappe

Pour qui l’éternité n’est qu’un instant

À tout problème il y a une solution

Je t’ouvre mon cœur en toute confiance

Et ne te cache point mes sentiments

J’ai fait mon travail avec détermination

Le réalisant ou m’avouant vaincu par la tâche

Si Dieu mon Seigneur le veut

Je m’en irais, vous laissant en paix

Un camion m’emmènera vers Djudem

J’attendrai que vous me rappeliez

Ou bien que le pays redevienne prospère

Ce qui n’est pas impossible

Pour notre Seigneur si on le sollicitait. »

Comment l’administration centrale est-elle perçue dans un temps de crise, pendant cette sécheresse ? Comment le rapport à l’autorité se dessine dans ce poème ? Que dire d’Akhmuden et de sa crise existentielle ? De sa détresse qui permet d’illustrer la situation au nord du Mali en  1973 ? Peut-on aussi deviner ou lire entre les lignes des non-dits ? À quel point Akhmuden cherche-t-il à se justifier de l’abandon de la mission qui lui a été confiée ou encore le fait que l’auteur du poème conserve l’argent de l’impôt ? Était-elle une mission sous la contrainte ? Je vous laisse ami.e lecteur et lectrice vous emparer du poème et (re-)découvrir comment la poésie peut permettre d’étudier le politique.

Pour Bellil, Akhmuden n’est pas un révolté ou un « rebelle ». Il a l’air d’avoir peur de l’administration malienne et d’être torturé par sa fuite avec l’argent de l’impôt. Il est possible qu’il n’ait pas soutenu la rébellion touarègue dans les années 1990. Il est aussi possible qu’il ait soutenu les rebelles. Il est aussi possible qu’il les ait soutenus un temps avant de s’en éloigner. Enfin, il est aussi possible qu’il soit resté neutre pendant le conflit. Ceci est un simple rappel pour être prudent lors de l’interprétation du poème et aussi une invitation à ne pas surdéterminer les trajectoires individuelles.

J’ignore la trajectoire biographique de l’auteur de ce poème mais ce poème illustre bien le manque d’options, les rapports de force se jouant au niveau de l’arène locale et le dépit vécu par les communautés septentrionales du Mali et du Niger lors de cet épisode de sécheresse.

 Pour les curieux :

Voici la référence de l’ouvrage de Rachid Bellil :

-       Bellil, Rachid. 2008. Mutations Touarègues (Kel Ahaggar et Kel Adagh). Recueils du Centre National de Recherches Préhistoriques Anthropologiques et Historiques, n°3, Alger : CNRPAH.

Je recommande aussi l’ouvrage de Dominique Casajus :

-       Dominique Casajus. 2014. Gens de parole: Langage, poésie et politique en pays touareg. La Découverte.

J’invite aussi à lire et relire cet article fascinant d’Amalia Dragani :

-       Amalia Dragani. 2015. "Poétesses en marge. Un cas d’interdiction de la parole poétique féminine." Cahiers de littérature orale 77-78.

Enfin, vous trouverez ci-dessous la retranscription du poème en tamashek.

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